Wozan ( ou Rosan) MONZA est chanteur de gwoka, genre musical traditionnel de la Guadeloupe. Originaire de Baillif, commune du sud de la Basse-Terre, il est aussi musicien puisqu’il joue du « ka« . C’est le nom donné aux tambours du gwoka. On distingue le boula qui joue le rôle central et le marqueur (makè) qui marque la mélodie et interagit avec les danseurs.
Interview #5
Karine GENE : Bonjour Wozan, peux-tu te présenter ?
Wosan MONZA : Je suis un fils de Guadeloupe qui aura 54 ans en novembre et puis, au niveau de ma formation, je suis géographe et j’ai étudié plusieurs spécialités mais surtout la géopolitique qui étudie les rapports de forces internationaux ou internes aux Etats. J’ai fait un troisième cycle à l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale, l’IHEDN en tant que géostratège. Donc je suis à la fois quelqu’un de la Guadeloupe ancré et quelqu’un, de par sa formation, qui a un esprit d’ouverture, de tolérance et qui comprend surtout les enjeux internationaux et la complexité des situations géopolitiques ayant trait aux relations de pouvoir. Côté musique, ma biographie est faite avant tout de transmissions et d’échanges à partir d’une figure non pas paternelle mais d’un grand-père qui s’appelait Durville MONZA dit Vivilo.
Mon grand-père est de ce que l’on appelle de la race des vieux nègres d’habitation. Quand je suis né, il avait déjà connu un accident de voiture et était tétraplégique, couché sur un lit. Comme la télé et toutes les possibilités de partir, de rêver, de penser n’étaient pas si communes que ça – à part les livres mais on allait rarement à la bibliothèque – et bien le soir, c’était la veillée : chez nous, on discutait et il racontait des contes de la Diablesse et autres personnages de l’imaginaire créole de l’époque précoloniale et esclavagiste. Donc il me transportait allègrement dans son histoire, dans son passé et c’est là que j’ai su ce qu’était le fonctionnement des systèmes d’habitation dans les hauteurs de Baillif, notamment à Bouvier là où il avait choisi de rester depuis longtemps. Il avait quitté Vieux-Habitants et avait migré là où il y avait du travail, dans les champs de canne à sucre. L’habitation Bouvier qui s’appelait à l’époque Habitation de Sir de Meynard est l’habitation actuelle où on plante les bananes. Voilà. C’est donc tout cet imaginaire des habitations du haut de Baillif que je charrie avec moi sur le gwoka, sur les contes, sur l’histoire profonde de la ruralité guadeloupéenne d’époque post-esclavagiste et c’est comme ça que je me suis retrouvé là-dedans.
Je suis un musicien-savane !
Mon père était musicien aussi mais la relation privilégiée que j’avais avec mon grand-père Vivilo m’a permis, quand il est parti, de remercier cette mémoire et cette transmission en faisant mon premier album Kaléidoscope. Kaléidoscope, pour expliquer la diversité de tout ce que j’ai pu apprendre pendant tout ce temps et c’était aussi une réponse à ma thèse de doctorat que j’avais soutenue et qui s’appelle Guadeloupe : Kaléidoscope de la géopolitique interne des départements français de la Caraïbe.
Je ne suis donc pas un musicien formé qui a pris des cours au conservatoire : je suis un musicien savane ! En même temps, j’ai toujours été baigné dans cet univers gwoka avec mes frères jumeaux et nous avons été initiés autant aux rythmes et au chant qu’aux luttes (créole : sové vayan) par mon grand-père Durville MONZA (Vivilo). Parce qu’il ne s’agissait pas seulement d’être expert en danse, en chant et en marquage : mon grand-père était lutteur à l’époque ! On parlait de soirées gwo-tambou et de soirées quadrille avec la boutique de Man Dèl THOMAS, ma grand-mère, qui était au fin fond de l’habitation. Donc c’était toutes les quinzaines que ces gens-là passaient dans les soirées où le tambour, le rhum et le vice coulaient à flot. Les soirées lewoz n’étaient pas quelque chose de si lisse comme on veut le représenter aujourd’hui. C’était des soirées d’échanges culturels très forts, des soirées émaillées aussi de violence rasoir ka palé fwansé (les rasoirs parlaient le français !). Mon grand-père était aussi ce qu’on appelle un majò (Trad : un meneur, chef de bande) : donc dès qu’il y avait une injustice et qu’il trouvait une occasion de régler son compte à un autre majò qui venait d’une autre section, il le faisait. Il avait une fois défié un majò : ils sont rentrés dans une petite case en bois. A la fin du combat, au bout d’une heure, deux heures, il ne restait plus de maison ! (rires)
C’est ça le gwoka, c’est ça la ruralité, c’est ça cette transmission d’une mémoire mais aussi de quelque chose qui n’existe plus, d’une sorte de graal qu’aujourd’hui tout le monde essaie d’idéaliser au point de devenir des extrémistes ! Les discours que j’entends sur le gwoka me font froid dans le dos. C’est-à-dire qu’on a construit dans nos représentations un monstre qui nous échappé : de l’affirmation du gwoka en tant que socle identitaire, on est passé très vite à une radicalité de l’expression d’un patrimoine comme un ferment réactionnaire et hostile aux autres. Une façon d’approcher l’histoire qui est partisane, enfermante et sans sublimation. Kilti la pli gran ki nou (trad. : la culture nous dépasse)! Pour moi c’est une forme d’ouverture avant tout. Mon grand-père me parlait de cette musique-là aussi en tant que konvwa : un outil pour encourager à l’effort pour cultiver les lopins de terre en fermage (tè a lankan : règlement en nature ou par une somme fixe) ou dont ils étaient propriétaires. C’était une façon, pour ceux qui travaillaient, qui étaient ouvriers agricoles dans les plantations de canne puis de banane, d’avoir un petit lopin de terre qu’ils pouvaient faire fructifier pour avoir un revenu d’appoint par rapport à la paie misérable des habitations.
C’est cet univers-là que je charrie avec moi, agrémenté par mon passage en France et dans beaucoup de pays (Allemagne, Angleterre et Espagne etc.) où j’ai fait connaissance avec des musiciens qui, toujours dans l’improvisation, jouaient du jazz. Je m’intéressais à ça. Je suis allé en Allemagne où on jouait du be-bop ou bien du ska ; c’étaient les années estudiantines où on découvre qui est l’autre et il y avait toujours cette musique, le gwoka, qui n’était pas si répandue que ça, un petit peu plus maintenant en France, où on joue dans des groupes folkloriques. Il y avait aussi Paris où le gwoka était consigné à une communauté antillaise restreinte qui se retrouvait culturellement dans les soirées boudin-accras, pas plus que ça. Il y avait des associations comme l’ AGEP (Association Générale des étudiants de Paris) qui organisait des coups de tambour pendant l’été au Parc de Sceaux à Anthony (j’y ai rencontré Jean-Pierre PHIPPS, les frères ROMANA, MERI Mario etc.). A l’époque, bizarrement, autant quand je retournais en vacances pour me ressourcer, toutes les années, je me faisais un point d’honneur à écumer les lewoz (ndlr. rassemblements populaires souvent nocturnes) et à me ressourcer vraiment, autant quand j’arrivais en France ce n’était pas mon monde. Mon monde c’était le monde des autres et l’imaginaire des autres participait à l’enrichissement de ma construction personnelle.
C’est dans ce positionnement-là que je suis : un gwoka qui s’adapte, qui n’a ni acquis, ni a priori.
Donc c’est cette créolisation que j’ai eu dans ma trajectoire de vie qui fait que mon gwoka ne ressemble peut-être pas à ceux des gwo-kadémiciens, des gwoka à Larel, des gwoka codifiés et Lockélisés qu’on défend et qu’on veut soumettre. Je ne suis pas dans ça. Je reste fidèle à la fois à l’héritage de mon grand-père et aussi à l’apport, à la chance et au hasard des opportunités qui ont permis que je me construise à mon tour mon univers gwoka que je qualifierais plus de gwoka évolutif. Ce n’est pas du gwoka moderne parce que la modernité en principe ça passe et ça devient vite démodé. Par contre le gwoka, depuis l’époque de mon grand-père jusqu’à Ti-papa, jusqu’à ce que Vélo puisse créer des frappes et des phrasés qui ressemblent à des frappes de percussions latines, n’était pas le même. Mon gwoka est évolutif, tout comme la langue créole qui a évolué à travers le temps, les générations et surtout les chocs des événements historiques. C’est dans ce positionnement-là que je suis : un gwoka qui s’adapte, qui n’a ni acquis et ni a priori.
Quand nous étions petits avec mes frères jumeaux, j’étais marqueur et chanteur à la fois. A 9 ans, en 1976, au moment de l’éruption de la Soufrière, je me suis retrouvé réfugié à Deshaies chez notre grand-mère et toutes les soirées étaient des soirées gwoka. Mes oncles chantaient et je jouais sur le fer blanc, c’est-à-dire qu’il y avait un arrosoir qui à force d’être cabossé renvoyait un petit son steel pan : je n’ai jamais retrouvé la qualité de ce son sur les tambours sur lesquels j’ai joué. Mes frères avaient deux arrosoirs : l’arrosoir marqueur tout rond et l’autre oval qui servait de boula. On faisait des soirées tambour qui attiraient tout le quartier avec des gens qui avaient des voix énormes !
Si on veut parler de cette voix-là qui est justement en résonnance avec celle de mon grand-père, je dirais que les voix gwoka sont des voix drues, sans détour, des voix rabotées et burinées au rhum et aux insultes, aux gros mots, à la sueur des pêcheurs mais que ce ne sont pas des voix qui ont été travaillées avec finesse pour tomber sur des notes justes. C’étaient des voix enraillées au maximum avec une force, une puissance et peut-être une fluidité ou des aigus comme celle de Kristen ( ndlr. maître du graj – graj : un des 7 rythmes du gwoka) qui faisait penser à celle d’une femme. Cela dépendait des intonations, du rythme qu’ils accordaient. J’avais un oncle Tonton Félix ou Félo qui adorait chanter le graj et qui chantait aussi des boléros et des belcantos de l’époque ; ce gars-là avait une voix qui pouvait passer des octaves les plus graves et des plus barytons aux notes des sopranos. Il pouvait faire ce qu’il voulait de cette voix-là. L’essentiel était d’exprimer à un moment dans la chanson des émotions et d’engranger avec eux les chœurs qui étaient là à soutenir, avec un tambour qui venait en renfort comme une litanie pour juste rappeler « Ouais c’est ça, c’est ça… »..
(…) j’ai appris à pousser des décibels, à couvrir le tambour et ce chant-là, je l’ai par confrontation. C’est une joute, une lutte avec le ka : je suis en situation de combat.
K. G. : C’est vrai que la puissance des voix étonne ! J’ai connu une prof de chant qui parlait de voix agricoles (Xénia CARAIBES)!
W. M. : Ce sont des voix burinées de la campagne, c’est ça ! Les propos qui étaient tenus parfois pouvaient être des propos d’une banalité parce que c’était avant tout des troubadours : les gens chantaient des faits qui venaient de se produire. Mon grand-père et ma grand-mère avaient un don d’improvisation incroyable et donc, en 2 temps, 3 mouvements, ils te faisaient une chanson. Il y avait plusieurs façons de chanter : il y avait cette façon de chanter autour du tambour ka et une autre façon, quand il y avait la veillée de quelqu’un, d’aller consoler le mort en l’accompagnant autour du tambour et de lui rendre hommage dans les habitations des hauteurs de Saint-Louis (Baillif), du côté de Bouvier (chants de véyé). On retrouvait les mêmes du côté de Caféière à Deshaies (Nord Basse-Terre) parce que c’était la même ruralité. On en retrouve des vestiges dans la section des Grands-Fonds de St Anne (écoutez La véyé au swè la de KAN’NIDA) ; il y avait là des blagueurs, des gens qui faisaient des boulagyèl (polyphonie de la Guadeloupe) et faisaient tourner une rythmique. Donc quand je chante, ce sont des choses qui sont dans mon subconscient ; c’est mon héritage qui m’a nourri. Des gens trouvent que je peux parler tout petit comme là et quand je me mets à chanter ce n’est pas la même voix : c’est-à-dire que j’ai appris à pousser des décibels, à couvrir le tambour et ce chant-là, je l’ai par confrontation. C’est une joute, une lutte avec le tambour ka : je suis en situation de combat. En même temps, ce n’est pas crier : c’est dire fort des mélodies, c’est impulser, fédérer et en même temps chercher l’émotion. C’est faire des nuances pour provoquer l’émotion, pour revalider l’adhésion des chœurs qui sont derrière soit dans le washé (rythmique) , soit dans le boula. J’ai dit ça, je n’ai rien dit de technique !
K. G. : Dans d’autres chants du monde on retrouve cette façon de chanter…
W. M. : Les chants grégoriens, les chants corses etc. c’est à peu près la même chose. Au début il y a eu le verbe paraît-il ! C’est la puissance de dire, de déclamer depuis le haut de la montagne et d’être en harmonie avec la nature, les oiseaux, la rivière qui coule et tout ça…Ce sont des expériences que j’ai eues. Cet univers-là, tu vois – parce qu’il m’est arrivé de jouer dans des groupes européens où on jouait du jazz ou autre – et bien c’est ce qui plaît ! Parce que cette voix est originale, elle n’est pas pretty, elle n’est pas technique-technique ! Jusqu’au jour d’aujourd’hui, les musiciens qui jouent avec moi et qui découvrent les mélodies que je leur propose sont ahuris. Ils me disent : « Mais c’est pas logique ton machin ! ». Après, il y a les gammes (tonales, atonales etc.) mais c’est leur histoire à eux en tant qu’instrumentistes ! Mon propos n’est pas celui-ci : c’est comment à partir d’une histoire, ramener l’histoire ou une cause parce que tu prends parti. Comment l’amener dans une expression à ce que tu fédères, tu adhères ? Tu suscites l’émotion, tu déclenches quelque chose. Le chanteur qui a gagné c’est celui qui a créé la mélodie et les autres disent « Ah, sa fasil a chanté, en ja tann sa ! Po, on aurait dit sé mwen ki fè sa ! ». « Ola missié volé bitin an mwen ? » (Trad. « Ah, c’est facile à chanter, j’ai déjà entendu ça ! Oh, on dirait que c’est moi qui l’ai créé ! ». « Hé, où a-t-il a volé mon morceau ? ») . Cela m’est arrivé quand j’ai entendu Soft chanter Crime contre la Guadeloupe. Et quand Fred (chanteur du groupe Soft) a entendu Vivilo té ja di sa c’était la même chose. Donc c’est ça ! Ce sont des transports, des communications cosmiques-razié-ésotériques. C’est pour cela que le chant est, comme moi-même, un médium qui transcende les propos et les histoires racontées depuis mon grand-père que je charrie avec moi et que j’essaie d’intégrer dans les mots, dans les accents, dans les mimiques, dans les gestes, dans les mélodies et dans les « AYE AYE AYE AYE AAAAHHH ». Voilà, c’est ça mon chant !
K.G. : Donc le conseil à donner à quelqu’un qui voudrait apprendre à chanter le gwo-ka serait qu’il n’y a que l’expérience : ce serait de s’y frotter dans les lewoz ?
W. M. : Il y a l’expérience et il y a autre chose : l’univers, le bain dans lequel on s’exprime. Chacun a son histoire et chacun en fait ce qu’il en fait. Moi c’est mon grand-père avec cette filiation qui me poursuit et cette histoire commune. Après, il y a l’autre dédoublement où tu crées. Mon grand-père chantait sur les gens : parce qu’un tel avait volé une poule, on écrivait une chanson dessus, mais mon propos ce n’est pas ça. Puisque j’ai fait tout ce parcours intellectuel, j’ai un bagage, un background… Le gwo-ka par nature n’a pas toujours été une musique de résistance : il y avait des chansons mal élevées ou misogynes qui dénigrent la femme. Il ne faut pas tout embellir ! Comme j’ai accès à un certain savoir et comme l’art de chanter ou de pratiquer un instrument c’est la capacité de dépasser cette fameuse émotion, celle-ci peut passer par un discours ou une prise de position sur des faits qu’on estime soit essentiels, soit participant à l’élévation et/ou à la conscientisation des gens. Si tu veux parler de ce qui se fait à l’international, rien ne t’en empêche. J’ai vécu dans tellement de contrées : j’ai été parfaitement allemand, parfaitement anglophone, espagnol quand je le voulais et je me mofwaszè (trad. métamorphosais) dans leurs musiques, leurs têtes, leurs esprits et dans leurs héritages, alors c’est peut-être cela ma force.
Ecrire et dire en mélodies son savoir, ses savoirs et penser qu’il y a des sujets essentiels tels que la chlordécone, telles que les contradictions qui peuvent traverser le pays ou sur notre attitude – comme ce que j’ai fait il n’y a pas longtemps avec Pwotéjé sé vaksiné ( https://youtu.be/O2Ggx5SV1Vg ) qui crée le buzz en ce moment – c’est prendre position par rapport à une situation donnée. En 2021, au moment où je te parle, après la chlordécone qui est un empoisonnement programmé, après une année de restrictions, de privations, de tout ce qu’on a connu d’exceptionnel, l’urgence pour moi, c’est peut-être de prévoir et de penser que les Guadeloupéens – alors qu’on leur sert sur un plateau un vaccin – ont la possibilité de choisir ou non, de se protéger et d’arriver à ce qu’on appelle, pour moi c’est très important, l’immunité collective. Ça veut dire qu’on joue collectif, qu’on n’est plus dans le moi : nous nous reconnaissons comme une communauté de destin à part entière. Bref, une nation sans Etat. Donc si on fait une action comme cela, c’est pour sauver l’économie, sauver ceux qui ont des propensions de comorbidités. Ce segment de combat qu’on mène dans cet instant présent, ça mérite une chanson pour dire aux gens que ça se joue là. Après on peut être contre. L’émetteur médium, c’est moi. J’ai décidé que c’est ce qui est bon à dire pour moi. Quand les bouches des autres étaient closes dans les années 2005-2006 et lorsque j’ai commencé à écrire Klordékon, tout était caché dans les rapports, dans des tiroirs fermés à double clé, dans les ministères ou au Sénat. J’ai tout mis sur la table. J’ai étudié ma chanson. Elle était faite avant tout pour ça. On nous a appris à réfléchir, avec méthode et esprit critique. On a la chance d’avoir une tribune, contrairement à la majorité silencieuse.
L’engagement, c’est ça. Les temps changent, les combats changent. Les voies et les moyens pour mener à bien tout ne changent pas et ne changeront jamais. C’est la détermination et la volonté et je reste dans la filiation de ce que j’ai appris. Mon passage à témoin, mon héritage de porteur de mémoire de Durville MONZA dit Vivilo. Je suis moi-même obligé de transmettre. Je commence à prendre de l’âge. Demain, si des jeunes travaillent dans ce sens-là, il ne faut pas que ce soit une bis repetita de ce que je fais : il faut innover dans leur univers, dans leur monde, dans leurs problématiques. Si des jeunes qui abordent des questions et qui se veulent des porte-voix essaient d’affiner la déclamation ou le chant qui va avec ça, et bien bingo ! Je n’ai rien à prouver aux autres et encore moins à moi-même.
K. G. : Quelle est ta chanson-symbole ? Cette chanson qui est ou non de toi mais qui symbolise le travail d’une vie, qui représente ce que tu es, tes idées ?
W. M. : Alors il y en a plusieurs. Je ne sais pas pourquoi, il y a cette chanson de Terence TRENT D’ARBY, As yet, qui revient chaque fois :
Out by the shanty where the dust hangs high
Far from a river where things grow green
The flowers weep and they lean away
From the bloodstained soil beneath my feet
The thorns outnumber the petals on the rose
And the darkness amplifies the sound of printers’ ink
On a propaganda page
That will rule your life and fuel my rage.
(…) I called to my god but he was sleeping on that day
I guess I’ll just have to depend on me (…)
(Trad. Par un bidonville où la poussière reste suspendue dans les airs
Loin d’une rivière où les choses poussent
Les fleurs pleurent et se penchent
Du sol taché de sang sous mes pieds
Les épines sont plus nombreuses que les pétales de la rose
Et l’obscurité amplifie le son de l’encre des imprimantes
Sur la page de propagande
Qui sera votre règle de vie et alimentera ma rage.
(…) J’ai appelé mon Dieu mais il dormait ce jour-là
Je suppose qu’il ne me reste plus qu’à compter sur moi.)
Voilà, ce truc-là qui vient comme un mantra parfois, quand je ne demande rien. Quand j’ai un bon coup de blues ça me mets une pêche. Il y a aussi Gregory PORTER, Be good (Lion’s song). Au niveau gwoka, monsieur Guy KONKET, monsieur LOYSON. Ce sont des gens Chapeau bas quoi ! LOYSON, c’est le texte : comment un gars coupeur de cannes et charretier qui a terminé fonctionnaire communal et gardien de sanitaires publiques au Moule a-t-il pu créer la chanson Kann a la riches? Comment arrivait-il à créer des fables créoles chantées façon De La Fontaine ?! Chaben aussi. Lui, c’est l’humour, la dérision, la candeur dans la façon dont il abordait les choses. Il y a LIN CANFRIN qui est de Marie-Galante : encore une autre voix rabotée et burinée qui sortait des tripes. Je charrie tout ce beau monde-là sans compter les gens que j’ai côtoyés de leur vivant comme Ti-Céleste, qui était boug an mwen même (trad. Mon ami, mon pote) : on chantait ensemble, composait des chansons ensemble, riait ensemble, pleurait ensemble. C’était mon ami. J’ai vu les Kristen, ces chanteurs avec ces voix…. Kristen, on avait l’impression que c’était un oiseau qui chantait. J’ai eu la chance de connaître ça.
K. G. : Tu as parlé du blues. Le gwoka serait le blues de la Guadeloupe ?
W. M. : Un journaliste m’avait posé la question. En gros, ce sont les musiques des déportés qui sont revenus avec cette charge d’Afrique et l’ont adaptée à chaque fois. A la Nouvelle-Orléans les gens chantent en gwoka ! Le blues c’est du gwoka. Il y a 400 ans d’histoire. Ce sont des transmissions de notre histoire et de notre trajectoire qui ont été difficiles qui font qu’on a conservé en nous, cette part d’héritage d’Afrique et la capacité à improviser. Notre musique est une musique de paroles vraies, de sentiments vrais, pas de pleurnichements. Cela peut être de la résistance mais ça peut être tout à la fois ce que l’on retrouve dans le blues ou dans le reggae. Comme dirait Georges TROUPE, le père de Sonny TROUPE : « C’est ça le lien éternel ! ».
K. G. : Merci Wozan MONZA !
Très belle interview de qualité.
🙂
Merci Wozan
Fôs pour la Gwadloup !