Stan LAFERRIERE du blog https://docteurjazz.com nous présente son parcours d’instrumentiste, compositeur, arrangeur et vocaliste et nous explique comment il a choisi de mettre à disposition tout son savoir sur le jazz. Il a récemment concocté une formation Aborder le scat et partage ici quelques conseils pour se lancer !
Karine GENE : Bonjour Stan, peux-tu te présenter brièvement ?
Stan LAFERRIERE : Alors brièvement, j’ai 59 ans depuis hier, j’ai déjà une longue carrière derrière moi de musicien, multi-instrumentiste et puis après avoir fait pas mal la route, j’ai fait de la variété au tout début de ma carrière en sortant d’un cursus purement classique au piano au conservatoire. Je suis parti en tournée pendant deux ans avec des artistes de variété tels que Dalida, Mort SCHUMAN, Carlos, Dave, Eddy MITCHELL et consort et ensuite, comme je baignais dans un milieu jazz depuis ma plus tendre enfance ( ma mère était prof de danse de jazz, de be-bop et mon papa qui vit toujours a fait une grande carrière de musicien de jazz traditionnel ), je me suis orienté naturellement vers le jazz et je me suis vraiment spécialisé dans la musique acoustique et dans l’arrangement. En fait, j’ai fait tout de suite de l’arrangement et de la composition et puis, il y a une vingtaine d’années, je me suis formé à être chef d’orchestre. J’ai co-dirigé la musique de l’armée l’air pendant 15 ans à Paris, voilà. Et puis j’ai été professeur d’arrangement dans les conservatoires à Paris et à Dijon.
K. G. : Il y a quelque chose qui est vraiment sur ton blog c’est ta capacité à scatter aussi facilement et à imiter tous les sons d’instruments. A quel moment as-tu appris à scatter? Quand tu as commencé le chant ou plus tard ?
S. L. : Mon cursus vocal est le suivant : j’ai toujours plus ou moins chanté. Je chantais sur scène avec des artistes de jazz à l’âge de 4, 5 ans et en fait ma mère était une passionnée de vocalistes : Ella FITZGERALD, Billie HOLLIDAY et Nat KING COLE évidemment ! On écoutait et scattait ensemble quand j’avais 7, 8 ans. On scattait tous les solos d’Ella FITZGERALD donc je les ai encore en mémoire ; je les connais par cœur. Donc j’ai commencé comme ça. Ensuite, j’ai fait de la chorale « sérieuse » au lycée : j’ai chanté la Damnation de Faust à Pleyel. Puis j’ai véritablement travaillé le chant à la fin des années 80, début des années 90 où là, j’ai pris des cours de chant très sérieusement et du coaching ; j’ai beaucoup travaillé mon chant et j’ai produit deux albums à la fin des années 90 en tant que vocaliste. Alors c’était avec les orchestres pour lesquels je faisais des arrangements mais je faisais vraiment le crooner. J’ai un album en grand orchestre et un album en hommage à Nat King COLE en quartet. Et puis après, c’est vrai que j’ai un petit peu laissé tomber le chant parce que j’avais tellement d’activités en dehors et le chant, c’est pas toi qui va me démentir, ça demande un travail quotidien, ça demande un entretien et c’est un peu comme le golf : si on arrête une semaine tout est par terre, en exagérant un petit peu ! Donc j’ai eu une petite carrière sérieuse de vocaliste dans les années 90 et ensuite j’ai mis ça un peu de côté mais j’ai toujours chanté et scatté, depuis tout petit.
Le jazz, c’est la liberté ! (…) on peut très bien avoir un discours très simple harmoniquement et faire des choses absolument magnifiques !
K. G. : Et donc le jazz, l’esprit du jazz, c’est quoi pour toi ?
S. L. : C’est la liberté ! Comme je suis instrumentiste et vocaliste, pour moi le scat c’est complètement naturel. En plus du fait que je fais ça depuis que je suis enfant, c’est complètement dans la tête parce qu’ en fait ce que j’ai dans la tête c’est ce que je pourrais jouer au piano ou à la guitare par exemple : et bien je le chante, pour moi c’est pareil. C’est juste un instrument différent que je rajoute à ma panoplie d’instruments que je pratique déjà. Quand je scatte, j’improvise avec exactement les mêmes phrases que si je jouais du piano ou de la guitare, tout simplement. Effectivement je fais ça à l’oreille mais maintenant j’ai un bagage harmonique de pianiste, de guitariste qui me permet aussi de pratiquer le scat avec une certaine complexité harmonique mais ce n’est pas obligatoire! Le jazz pour moi, c’est justement la liberté, on peut avoir un discours, on va dire compliqué harmoniquement mais on peut très bien avoir un discours très simple harmoniquement et faire des choses absolument magnifiques ! Il y a des tas d’artistes qui vont pas chercher forcément des harmonies très compliquées : Chet BAKER ou même Ella FITZGERALD. Vocalement c’est technique, mais harmoniquement c’est assez basique, ça ne va pas chercher des choses très compliquées !
K. G. : Quel conseil donnerais-tu à quelqu’un qui débute le chant par le jazz?
S. L. : Souvent les gens pensent qu’on prend un instrument, on joue et ça marche. Le chant c’est exactement comme un autre instrument : il faut quand même avoir quelques bases de technique de l’instrument pour pouvoir prendre du plaisir à pratiquer. Donc si on débute complètement, le conseil que je donnerais c’est de suivre une formation avec Karine « Sula » GENE pour commencer et après, une fois qu’on a un petit bagage technique vocal, on aborde le jazz. Parce que le problème lorsque l’on apprend seul c’est que l’on peut faire des erreurs d’apprentissage qui vont nous porter préjudice par le suite si on veut progresser. Je dis ça d’expérience, ça m’est arrivé ! J’ai appris la batterie et la guitare tout seul alors que j’ai appris le piano au conservatoire et quand j’ai voulu progresser, il a fallu que je retourne en arrière et que je prenne des cours parce que j’avais des choses techniques qui ’empêchaient de progresser. Donc c’est le conseil que je donnerais : prendre une petite formation pour se lancer, pour avoir un petit bagage technique. Voilà ! Même si on n’a pas une belle voix : je prends l’exemple de Louis Armstrong qui est un chanteur incroyable mais qui n ‘a pas de voix. Et c’est juste merveilleux comme il chante ! Comme Chet BAKER qui chante faux, c’est pas très juste mais c’est extraordinaire ! Ce sont des gens qui ont très peu de technique vocale mais c’est exploité à 200% ! Voilà, moi, à un débutant, je lui dirais « Prenez des cours de chant pour avoir un petit bagage technique et ensuite mettez-vous au jazz !« .
Ce qui est récurrent dans la pratique du scat c’est l’inhibition des gens. Ils ont peur de se lancer, ils ne savent pas quel vocabulaire employer…
K. G. : Quelles sont les grandes difficultés communes que rencontrent tes élèves qui débutent en scat ?
S. L. : Ce qui est récurrent dans la pratique du scat, c’est l’inhibition des gens. Ils ont peur de se lancer, ils ne savent pas quel vocabulaire employer… En fait, pour un chanteur qui chante les mélodies et n’a pas l’habitude d’improviser, c’est un peu comme se jeter dans le grand bain sans bouée et c’est la difficulté principale? C’est pour cela que dans ma formation, je commence par dire aux gens « Mais prenez la mélodie, juste tournez autour, paraphrasez, prenez une ou deux onomatopées qui vous sont les plus naturelles, ce qui vous semble le plus simple – la la la , choubidou.. – et puis brodez autour du thème et ce sera un premier accès au scat et après, petit à petit, on va rajouter des outils et là on va arriver à la véritable improvisation. Le problème des vocalistes qui n’ont pas forcément une formation harmonique qui n’ont pas l’habitude de s’accompagner au piano ou à la guitare c’est qu’il ne savent pas quoi faire. Et si vous ne savez pas quoi faire, commencez par chanter la mélodie sans les paroles juste en mettant des onomatopées à la place. Puis après vous allez faire des petites variations et puis ça va venir tout seul !
K. G. : Quels sont ces vocalistes qui continuent de t’épater par leur chant ou scat ?
S. L. : Il y en a tellement ! Mon « papa », ma référence absolue c’est Nat KING COLE parce que pour moi c’est le chanteur qui chante toujours avec une mise en place – alors il y a Frank SINATRA, Tony BENNETT bien sûr ! Mais Nat KING COLE pour moi, il est un petit cran au-dessus de tout le monde quand même ! Il a cette espèce d’aisance naturelle, cette diction et cette mise en place rythmique qui est absolument phénoménale et pour moi c’est mon maître absolu. Je pense avoir l’intégrale des enregistrements : il n’y a pas une note – parmi des dizaines de CDs et il n’y a pas une note qui est à côté quoi ! C’est un garçon qui possédait l’oreille absolue mais ça ne suffit pas ! Pour moi ça c’est la référence absolue. Par contre Nat KING COLE ne scattait pas. Il a fait de très rares scats mais ce sont des scats écrits, prévus à l’avance. Vu comment il jouait du piano, improvisait et chantait, c’était plus qu’à sa portée. Mon sentiment est qu’il était tellement perfectionniste, qu’il avait peur de ne pas faire quelque chose de parfait en improvisant et scattant à la fois parce qu’évidemment c’est aléatoire. On ne peut pas être égal tout le temps, même chez les plus grands musiciens, il y a du déchet ! Et chez COLE, il n’y a pas de déchet ! Donc il avait peut-être peur en fait de ça… C’est peut-être quelque chose qui l’obsédait. Je suis toujours en train de chercher pourquoi ! Dans l’album où je lui rends hommage, j’ai fait un morceau qui s’appelle Hey Nat, won’t you scat ? où je lui pose la question. Après il y a des tas de vocalistes qui me touchent : Sarah VAUGHAN, Ella FITZGERALD évidemment : c’est une des rares chanteuse de jazz qui est une vraie instrumentiste avec sa voix. Il y en a très très peu. Sarah VAUGHAN improvisait merveilleusement mais avec un lexique plus restreint. J’ai fait des analyses dans ma formation de plusieurs scats d’Ella FITZGERALD et de Sarah VAUGHAN où j’essaie d’analyser ce qu’elles font rythmiquement et harmoniquement, et c’est vrai que c’est tellement riche Ella, c’est un vrai instrument, c’est un saxophone, c’est une trompette, Ella ! Voilà mes influences principales. Après il y a des tas de chanteurs que j’admire et qui ne sont pas forcément des scatteurs. Et puis je suis un fana des groupes vocaux comme les ACCENTS.. Il y avait les HI-LO‘s dans les années 40/50, il y avait des groupes vocaux absolument phénoménaux. J’adore ça ! Et en fait le vocal, ça demande une telle maîtrise, une telle précision, plus que l’instrument encore parce que quand on est à côté, dans un groupe vocal, ça marche plus donc il faut une concentration, il faut une technique, c’est juste prodigieux ! Je suis tout à fait admiratif des gens qui font ça à la perfection.
K. G. : Quelle est ton actualité personnelle en tant que musicien/ chanteur mais aussi professionnelle, par rapport à ton blog ? Quand on voit ton blog, on sent que tu es sur un cheminement de recherche, que tu avances !
S. L. : De recherche, oui et non. Je dirais que ma carrière évolue. Comme je le disais au début j’ai commencé à faire le musicien mais j’écrivais de la musique depuis longtemps donc, après, ma carrière c’est plus orientée vers l’écriture, l’arrangement et la composition ; musicien ça reste, mais c’est en sourdine. J’ai fait pendant 25 ans le musicien à tous les instruments, dans tous les styles de musique et de jazz. J’ai fait un petit peu le tour, je n’ai rien à prouver ni à moi-même donc j’ai envie d’explorer de nouvelles pistes parce que je suis un boulimique, je suis un hyperactif et j’aime découvrir ! Et même encore à mon âge, il faut que j’apprenne sinon je ne suis pas heureux. Donc, j’ai enseigné l’écriture puis c’est la direction d’orchestre qui m’a passionné pendant 15 ans et puis avec la COVID je suis un peu forcé de me mettre à la musique sur Internet, chose que je ne pratiquais absolument pas donc je me suis à nouveau formé aux logiciels vidéo et de son, choses que je n’utilisais absolument pas il y a 3 an. J’étais complètement novice et du coup, je redécouvre le plaisir de chanter par exemple donc je me remets à travailler le chant alors que c’était improbable pour moi de m’y remettre, de faire des vocalises.
Mon actualité, si tu veux c’est surtout le blog, la pédagogie. J’utilise pour cela mon bagage. C’est vrai que je suis conférencier en histoire du jazz, prof en écriture, arrangeur, compositeur, musicien et vocaliste donc tout ça se retrouve dans mon blog soit sous forme de formations, soit sous forme partitions, de tutos ou de vidéos de musiciens. En fait c’est vraiment mon activité dans son entier que je propose. Il va y avoir aussi à la rentrée des modules sur l’histoire du jazz car c’est quelque chose qui me passionne. J’ai écrit plus de 1200 arrangements pour Big bands originaux, plus la musique de chambre, plus les orchestres symphoniques. Maintenant, j’essaie de faire partager un petit peu tout ce que j’ai fait durant ma carrière pour que ça serve à d’autres gens, voilà.
Et puis comme je suis nouvellement papa et que j’adore les enfants ( j’ai 4 enfants ), du coup j’ai prévu à la rentrée de réorchestrer en jazz toutes les comptines pour les enfants et de faire des petits clips avec Amandine, mon épouse, qui est dans le graphisme et qui gère le blog avec moi. On va ouvrir un département pour les enfants. L’idée est que les clips soient en accès libre sur You Tube et après, pour un euro symbolique, on commercialisera peut-être les partitions et les audios avec un karaoké par exemple pour que les enfants chantent dessus. En fait le blog est comme moi : il est à 360° et au niveau des styles de jazz puisque j’ai pratiqué les styles de jazz, depuis le jazz de la Nouvelle-Orléans jusqu’au jazz très actuel en passant par tout ce qu’il y a au milieu. Donc je veux que le blog soit un reflet de cette carrière et que je puisse justement proposer aux gens le plus de choses variées possibles sachant que je suis compétent. Je m’ estime compétent dans tous ces domaines puisque ce sont des domaines que j’ai pratiqués et approfondis.
C’est ici pour le tuto du scat de Paper Moon par Stan LAFERRIERE : https://docteurjazz.com/comment-relever-un-solo-instrumental-en-scat/ Et par ici pour découvrir son excellente formation Aborder le scat :
https://docteurjazz.com/formation-aborder-le-scat/
K. G. : Une vraie mine d’or ! As-tu eu l’occasion de voyager aux Etats-Unis à la rencontre du jazz ?
S. L. : Oui, je suis allé voir un peu ce qu’il s’y passait mais contrairement à certains de mes collègues qui se sont installés là-bas, qui ont fait des études là-bas à la Berklee School ou autre, je suis resté en France pour mes études et pour pratiquer ; après, j’ai fait trois fois le tour du monde et donc j’ai rencontré beaucoup de cultures musicales très très intéressantes comme la culture portoricaine. J’ai même été dans des clubs de jazz en Indonésie voir des musiciens formidables, par exemple. Il y a un pianiste qui est décédé il n’y a pas très longtemps qui jouait aussi bien qu’Oscar PETERSON donc ce sont des gens qu’on ne connait pas. Tu as vu sur mon blog, j’ai fait découvrir aux gens une chanteuse indienne absolument incroyable, Varijashree VENUGOPAL.
K. G. : Oui, ton blog est très ouvert ! J’invite tout le monde à aller le voir !
S. L. : Maintenant c’est facile, on a ouvert un département vocal. Il y a des catégories scat, vocal etc. On tombe dessus directement.
K. G. : Merci beaucoup Stan !
[…] Karine m’a également interviewé sur son blog […]