Laurynn FAVIERES étudier au conservatoire
Défis, Interviews, Technique vocale

Laurynn FAVIERES : étudier le chant au conservatoire

J’ai eu la chance d’être spectatrice d’un concert lyrique qui accueillait en première partie Laurynn FAVIERES. Quelle découverte ! 21 ans et une voix qui vous transperce et fait émerger des émotions intenses : on ne peut que succomber en écoutant son interprétation de L’invitation au voyage de Henri DUPARC. Merci au Café Philosophie qui nous offre des moments magiques et rares en chant lyrique. Laurynn est l’étudiante qui prépare, dans l’hexagone, une vie professionnelle prometteuse.

Interview#6

Karine GENE : Bonjour Laurynn, peux-tu te présenter brièvement?

Laurynn FAVIERES : alors en quelques mots, je suis une Petite-Bourgeoise (NDLR : de la commune de Petit-Bourg) de la Guadeloupe. Actuellement j’ai 21 ans et je vis à Paris entre deux cursus, c’est-à-dire que je suis en faculté de Lettres spécialisée dans la communication et je suis au conservatoire. Je rentre en 3ème cycle cette année.

Karine GENE : Peux-tu nous dire quel a été ton cursus jusque-là et nous expliquer en quoi consistent les cycles du conservatoire ?

L. F. : J’ai commencé en Guadeloupe. J’ai toujours aimé chanter en soi mais je n’ai jamais pensé à prendre de cours. Ma marraine m’a inscrite par surprise à un cours de chant que j’ai beaucoup apprécié et ma mère a continué de me payer ces cours. J’ai ainsi rencontré une femme formidable sans qui je ne serais pas là aujourd’hui et qui m’a appris tout ce que je sais en ce qui concerne la voix, toutes les bases que j’ai jusqu’à présent. Donc j’ai commencé au collège vers 11, 12 ans, au centre Gérard LOCKEL à Baie-Mahault (Guadeloupe) avec Béatrice WRONECKI-BARGAS qui m’a tout appris. Ensuite nous avons continué jusqu’à ce que je sois en 4ème. Il y a eu quelques années de césure parce qu’elle n’a pas pu forcément continuer et je l’ai retrouvée au lycée Charles COEFFIN où j’avais choisi l’option Musique ; depuis elle n’a pas cessé de m’enseigner des morceaux. J’ai passé un Bac littéraire avec lequel j’avais la possibilité d’avoir une option Musique qui me donnait 9 heures de musique par semaine. Ce n’est plus trop le cas avec les nouvelles réformes mais l’année où j’ai passé le bac, en 2017, j’avais encore cette possibilité. Ensuite j’ai passé un BTS Communication. J’ai fait le Jeune Chœur de Guadeloupe qui est aussi dirigé par Béatrice WRONECKI-BARGAS et Jean-Loup PAGESY. Pendant deux ans je voulais partir, je voulais vraiment partir après mon bac mais j’étais encore mineure et mes parents m’ont vivement conseillé de passer un diplôme (B.T.S. Communication) puis j’ai été prise à la Sorbonne et je suis partie. C’est toujours mieux d’avoir des études à côté. J’ai été prise directement en 2ème année de deuxième cycle.

Alors, les cycles au conservatoire : il y en a 3 et chaque cycle équivaut à deux années. Donc, je n’ai pas fait le 1er cycle : je suppose que j’étais un peu avancée donc mon professeur m’a fait passer en deuxième cycle et cette année, je rentre en première année de 3ème cycle. Après le 3ème cycle, il y a le cycle spécialisé : il faut passer une audition dans une école qui peut être le C.N.S.M (Conservatoire National Supérieur de Musique ) de Paris et lorsque vous êtes pris dans une grande école vous obtenez un diplôme mais je n’en suis pas encore là !

K. G. : Il n’y a pas de conservatoire en Guadeloupe donc tu t’es formée au départ grâce aux cours particuliers puis au collège. Quel est le diplôme que tu vises et le niveau que tu cherches à atteindre en termes académiques ?

L. F. : Honnêtement, les diplômes je les aurai non pas parce que je les veux forcément mais plutôt parce qu’il faut passer par là. Je veux être professionnelle et pour être professionnelle, je dois les obtenir mais ce n’est pas forcément un de mes objectifs premiers. Il y a le D.E.M. (Diplôme d’Etudes Musicales) – si je ne me trompe pas – qu’on passe à la fin du cycle spécialisé. Franchement ce ne sont pas des diplômes qui m’intéressent et je ne me suis pas forcément documentée là-dessus. Il y a le C.A. (Certificat d’Aptitude aux fonctions de professeur de musique) qui permet de devenir professeur plus particulièrement dans le domaine.

K. G. : Donc c’est vraiment la scène qui t’intéresse !

L. F. : Oui, je ne me vois pas du tout faire autre chose ! J’ai beau essayer !! (rires)

K. G. : Ça se voit et se ressent lorsque l’on te voit sur scène ! C’est compliqué en ce moment ! Où as-tu pu te produire récemment ?

L. F. : Je t’avoue que dans l’hexagone je ne cherche pas forcément à me produire puisque je considère être encore en formation. Oui, en Guadeloupe, quand je suis avec mon professeur je veux bien chanter avec elle mais en France, je ne demande pas forcément à mon professeur s’il a des contacts ou s’il connait un endroit où se produire car mon répertoire n’est pas forcément ficelé. Voilà, même si cela fait 3 ans, je considère que je viens d’arriver et je ne me connais pas encore assez pour me partager avec les autres.

En Guadeloupe, j’ai fait un solo avec le chœur DA CANTARE à l’église St Pierre St Paul et j’ai chanté dans les vœux du Maire de Baie-Mahault à l’âge de 15 ou 16 ans ; ça dépend en fait !

S’il y avait eu un conservatoire en Guadeloupe (…) j’aurais eu beaucoup plus de bases à ce moment-là !

K. G. : Quelle est la chose la plus difficile que tu rencontres dans tes études et dans l’apprentissage du chant en général ?

L. F. : Honnêtement, le solfège. C’est vraiment une discipline que je regrette ne pas avoir travaillé plus tôt mais en soi ce n’est pas vraiment de ma faute parce que c’est vraiment quelque chose qui coûte cher en Guadeloupe : les cours particuliers de chant ne sont pas donnés et les cours de solfège, ce n’est pas mieux ! Au début on ne voit pas forcément l’utilité parce qu’on apprend par cœur mais ensuite, quand on professeur te demande de déchiffrer toute seule, là tu dis « Wow !» car on te lâche dans un milieu assez compliqué surtout si tu n’as pas forcément de repères. S’il y avait eu un conservatoire en Guadeloupe ça aurait été vraiment pas mal parce que j’aurais eu beaucoup plus de bases à ce moment-là !

K. G. :  Au fait, quelle soprane es-tu?

L. F. : Mon professeur me dit que je suis trop jeune pour me mettre dans une case. J’ai une petite idée : je suppose que je suis une soprane lyrique ou dramatique mais actuellement, je ne mettrais pas d’étiquette là-dessus.

K.G. : Cela peut évoluer en fait ?

L. F. : Oui, voilà !

K.G. : Quel conseil donnerais-tu à un/une jeune qui veut devenir professionnel(le) en chant lyrique ?

L. F. : En dehors de travailler son solfège (rires), ce serait de ne pas forcément lâcher parce que certaines personnes considèrent que ce n’est pas une discipline de notre culture – chose qui est vrai -et beaucoup de personnes ne savent pas forcément que l’on fait ça en Guadeloupe ; un autre conseil serait de beaucoup se cultiver à ce niveau-là car ça reste un handicap de ne pas avoir les bases de cette culture sachant que nous n’avons pas d’opéra en Guadeloupe ou de personnes qui en diffusent. Et puis je conseillerais de faire des études à côté. Certes, je ne suis pas tellement intéressée par ce que je fais à côté mais je sais que ça reste quand même important, ne serait-ce qu’en ce qui concerne le temps car le conservatoire ne demande pas beaucoup de temps, en tout cas les premières années. En premier cycle c’est 30 minutes de chant par semaine. C’est vraiment très peu. En 2ème cycle c’est 40 minutes et en 3ème cycle c’est 50 minutes en gros.

K.G. : Là tu parles du temps de cours particuliers ?

L. F. : Oui, ensuite on a les heures de chorale, ensemble vocal et les heures de formation musicale. Mais en tout cas les heures de cours particuliers de chant lyrique c’est 30 mn à 1h en fonction du niveau. Donc oui, avoir quelque chose à côté : on ne sait jamais ce qui peut arriver.

K.G. : Qu’est-ce que tu trouves dans le chant lyrique que tu n’as pas trouvé dans d’autres styles musicaux?

L. F. : Et bien c’est peut-être un peu égoïste mais honnêtement je me sentais différente ! Je me sens différente parce c’est un son pur et le public qui écoute, la plupart du temps est subjugué, étonné quand ils entendent la différence entre ma voix parlée et chantée. J’ai senti aussi, de par mes origines, que nous avons un rythme « dans la peau » qui est assez bénéfique musicalement parlant dans tous les styles de musique ; je sais que cela m’a beaucoup aidée d’avoir ce rythme dans la discipline même si les mélodies ne sont pas tout le temps très compliquées. Voilà, je ne sais pas, j’ai beaucoup aimé ; ça n’a rien à voir, strictement rien à voir avec ce que j’écoute, mais je trouve que ça change, je me sens vraiment différente quand je chante, quand je partage le son en fait !

K. G. : Avec le chant lyrique vient la comédie…

L . F. : Oui, c’est un monde en fait. Chaque morceau est un monde et à chaque fois qu’on doit aborder un nouveau personnage ou apprendre un nouveau rôle ou morceau, ça change tout par rapport aux autres morceaux appris. Une fois ça peut être un petit air rieur, d’autres fois quelque chose de très triste et on doit essayer d’assimiler cela et de le mettre en pratique car l’apprendre et ensuite le jouer c’est tout autre chose. Cela demande un certain temps mais c’est toujours aussi beau quand on voit le résultat, en fait.

En lyrique, on ne peut copier personne. Ce que tu sors, c’est ta voix.

K. G. : Du point de vue technique, tu peux nous expliquer la différence entre le chant lyrique et les autres chants considérés populaires ?

L. F. : Alors je ne sais plus si c’est Pavarotti qui l’a dit, mais en soi « le lyrique c’est un cri apprivoisé. ». La première chose qu’on fait en naissant c’est crier et je me dis que c’est vraiment ça. Les autres styles comme la pop sont beaucoup plus « doux »… Pour improviser il y a beaucoup d’apprentissage, d’entraînement mais pour sortir notre propre voix, c’est tout à fait différent. Dans la pop ou dans d’autres styles plus récents on va écouter et essayer d’imiter, de faire ce que l’auteur, le compositeur ou le chanteur a fait alors qu’en lyrique, on ne peut copier personne. Ce que tu sors, c’est ta voix. Tu apprends à te connaître, à te découvrir en fonction des morceaux. A chaque cours il y a des sons que tu découvres et tu te dis « Mais ça sort d’où ça ? ». Il y a moins de surprises dans le domaine de la variété, je trouve, parce qu’on est habitué à proposer ce qu’on a déjà, ce que l’on connaît. Chanter du Céline Dion : il y a des timbres qui vont changer, c’est sûr, mais il n’y aura pas forcément de surprises à ce niveau-là, je trouve, en termes d’apprentissage ; on ne va pas se découvrir tous les jours. Je trouve que c’est vraiment différent au niveau du travail.

K. G. : Quelle est ta routine vocale ?

L. F. : Euh, alors je suis censée en avoir une mais je n’en ai pas !!(rires). J’avoue, quand il fait froid, je prends un petit thé à la cannelle ou un peu de thé au thym mais je n’ai pas de routine malheureusement. Je devrais respirer, faires des exercices de respiration, mais non !!!

K. G. : Mais c’est incroyable que tu aies cette puissance ! Les cours suffisent ?

L. F. : Pendant mon premier cours de chant, mon professeur m’a demandé de chanter et j’ai chanté du zouk. Elle m’a regardée et elle m’a dit « Mais pourquoi tu ne chantes pas des morceaux qui révèleraient vraiment ta voix ? Des morceaux où tu pourrais chanter pleinement en fait ! ». Je n’avais que 12 ans, je ne comprenais pas vraiment ce qu’elle voulait dire par là. Ensuite j’ai compris.

K. G. : Quelle est ta chanson symbole ? Cette chanson qui n’est pas forcément lyrique mais qui a compté dans ton parcours ?

L. F. : C’est « Si mi chiamano mimi » de PUCCINI. C’est un air de La Bohème et en fait, quand je suis arrivée dans l’hexagone, c’est le premier air qu’on m’a imposé au conservatoire, en 2ème cycle. J’ai commencé avec des morceaux tout simples que je connaissais déjà. Mon professeur m’a corrigée et ensuite, quand je n’ai plus eu de propositions à lui faire, il m’a demandé de travailler ce morceau. Je ne le connaissais pas du tout et quand je l’ai écouté, je l’ai trouvé magnifique mais je me suis dit que je n’y arriverais pas, que ce n’était pas un morceau pour moi puisque je n’avais pas ce qu’il fallait pour le chanter, que j’étais trop jeune, que je n’avais pas la voix, que c’était trop compliqué, les aigus, que c’était impossible !! Et je lui ai dit : « Monsieur, je pense que vous vous êtes trompé. ». Il m’a clairement dit qu’on allait quand même essayer. J’ai essayé et c’était magnifique. Je crois que c’est l’air que je préfère et pourtant ce n’est pas le plus beau de tous ceux que j’ai appris, mais c’est vraiment l’air qui m’a fait comprendre qu’en gros je n’ai pas à me sous-estimer et que je ne me connaîtrai jamais entièrement vocalement. Il m’a appris qu’il ne fallait pas que je me dise que je n’y arriverais pas ou que ce n’est pas pour moi. Je dois faire confiance à ce métier et à celui ou ceux qui vont me former.

K. G. : Merci Laurynn FAVIERES !

Laurynn FAVIERES chante « Si mi chiamano mimi » de PUCCINI

Le lien pour écouter l’Invitation au voyage de Henri DUPARC au Café Philosophie : https://www.facebook.com/cafephilosophie/videos/184561157018552/

Pour découvrir davantage le chant lyrique, lisez l’article Défi 2021 (2) : Coretta JEAN-ALEXIS MOUEZA, soprano lyrique épanouie.

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1 commentaire

  1. Waouh ! Elle est impressionnante et on ressent toute la passion qu’elle met dans son chant ! Très belle interview ! Je suis ravie d’avoir découvert une telle artiste.
    Merci

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