Tricia Evy vit entre l’Europe et les Antilles mais chante dans d’autres pays. Elle chante la biguine, le jazz et bien plus ! Chanteuse autodidacte, elle partage généreusement sa vision du chant et ses trucs et astuces avec vous, chanteurs motivés de Plus que du chant ! Après “Beginning”, “Meet me” et “Usawa”, son quatrième album « Parler d’amour » sortira le 14 février 2022.
Karine GENE : Bonjour Tricia, peux-tu te présenter ?
Tricia Evy : Bonjour, je m’appelle Tricia Evy PORLON. Je suis une chanteuse de jazz, de biguine et de plein de chansons.
K. G. : Comment as-tu commencé ?
T. E. : J’ai commencé d’abord en écoutant les autres, en chantant avec eux. Quand je dis les autres, je parle de Patrick SAINT-ELOI, Georges BRASSENS, Orlane… Tout au long de ma jeunesse, j’ai beaucoup écouté et chanté avec les musiciens et les chanteurs ; j’ai fait trois ans de piano aussi quand j’étais jeune et je composais. J’écrivais des poèmes aussi ; tout a commencé par des poèmes et ensuite j’ai mis tout ça en chansons.
K.G. : As-tu pris des cours de chant ?
T. E. : Les cours de chant sont arrivés très tard. Je me souviens qu’avant de partir en Guadeloupe, en 2005, j’ai pris un cours de chant et la dame m’a dit : “Eh bien, je n’ai rien à vous apprendre ! Voici un CD, écoutez ce style-là.” C’était un album où il y avait des standards de jazz. C’était honnête de sa part. Après j’ai pris quelques cours avec Jimmy DESVARIEUX et je suis partie en France.
A partir de ce jour-là, je me suis dit que quels que soient la personne et/ou l’endroit où on me demanderait de chanter, je donnerais quelque chose.
K. G. : A quel moment as-tu senti que tu devenais professionnelle ?
T. E. : Je suis devenue professionnelle quand je suis devenue intermittente : c’est là que tu vis de ta musique pleinement. Je pense qu’au fond de moi, je suis toujours en train de me dire que je n’ai pas fait d’école, j’ai vu la lumière et je suis rentrée et voilà, il s’avère que j’en ai fait mon métier (rires) ! Je n’ai pas du tout le parcours typique de musicien : je voulais être vétérinaire, j’ai fait des études de biologie, une licence de bio… Ça s’est fait tout seul. Mais mis à part le fait que je sois devenue intermittente, il n’y a pas un moment donné où je me suis dit que j’étais professionnelle car j’ai toujours pris le chant au sérieux. Il y a eu un déclic dans ma vie lorsque j’avais 17 ans : quelqu’un m’a demandé de chanter pour lui – j’étais au lycée Faustin FLERET – et j’étais gênée, je n’ai pas osé et j’ai chanté un peu, à demi. Et quand la personne est partie, je me suis dit que j’avais manqué une occasion de donner quelque chose, de faire plaisir à quelqu’un. A partir de ce jour-là, je me suis dit que quels que soient la personne ou/et l’endroit où on me demanderait de chanter, je donnerais quelque chose.
Donc depuis l’âge de 17 ans, je donne toujours quand je chante : qu’il y ait une, deux ou mille personnes, je donne toujours. Le shift dans ma vie ça a été ça. Sinon j’ai eu aussi un déclic quand j’ai chanté pour la première fois, avant de quitter la Guadeloupe en 2005, avec des musiciens lors d’un concours de chant. Je suis arrivée en finale. J’ai chanté un morceau a capella, une biguine et ensuite un morceau de Patrick SAINT-ELOI “Kryé” et en sortant de scène, les gens avaient l’impression que j’avais fait ça toute ma vie ! J’ai attrapé l’organisateur et lui ai dit que c’est ce que je voulais faire de ma vie !
K. G. : Comment expliques-tu cette facilité pour le chant ?
T. E. : Il y a plein de choses : mes parents écoutaient beaucoup de musique ; je dirais que j’ai été attirée par ça. Je n’ai jamais le trac sur scène. Je me souviens que lorsque j’ai fait la première partie de KASSAV’ au Festival de Jazz d’Orléans, j’étais avec mon ex qui est chanteur et tromboniste et qui a des années de carrière et il m’a dit : “Tu ne stresses pas ?” J’ai répondu : “Ben non, je vais faire ce que j’aime !” Et dans un autre sens, je suis totalement inconsciente ! Je ne me dis pas : “Tiens, je vais chanter avant KASSAV’, tiens les gens sont là pour moi.”. Je ne me pose pas la question. J’arrive et je pense à ce que je veux donner et à ce que je vais pouvoir transmettre comme émotion. Je suis dans le partage. Ma mère me disait que petite, j’ai chanté deux ou trois fois sur scène dans des fêtes communales. Peut-être que le fait de ne pas avoir le trac vient de là.
K. G. : A quel moment t’es-tu dirigée vers le jazz ? As-tu été confrontée à une difficulté particulière ?
T. E. : Alors le jazz est venu parce que j’étais entourée de musiciens de jazz que j’avais rencontrés dans le cadre de la biguine. C’était le groupe de David FACKEURE qui s’appelle Jazz on biguine. Un des musiciens m’a dit que je devrais essayer le jazz et que ça pourrait m’aller. Dans mon bagage de jazz, il y avait juste le petit album que la dame du cours de chant m’avait donné à l’époque : un CD avec Rachelle FERRELL, Ella FITZGERALD, Sarah VAUGHAN et quelques standards, comme ça. Quand j’ai commencé à écouter du jazz, je suis tombée amoureuse de cette musique parce que je ne savais pas qu’on pouvait faire tout ça avec sa voix. C’est là que tu prends conscience que la voix est un instrument à part entière !
Je n’ai pas eu de difficultés car j’avais déjà un bagage rythmique pour avoir grandi en Guadeloupe et avoir baigné dans plein de musiques différentes – que ce soit les musiques latines ou ce que j’ai écouté grâce à mes parents, la musique classique, la musique antillaise et la chanson française. Passer au jazz s’est donc fait naturellement.
K. G. : J’ai vu que tu jouais du violoncelle, de la guitare…
T. E. : En fait j’ai commencé la guitare par rapport à mon album “Meet me” parce que sur un des morceaux il y avait des parties guitare et c’est le bassiste qui les faisait ; ça n’aurait pas été possible pour lui de faire les parties basse et guitare en concert et faire venir un guitariste pour un morceau, ça n’en valait pas le coup. Donc je l’ai fait moi-même ; j’ai acheté une guitare et j’ai commencé à apprendre à jouer. J’ai toujours aimé cet instrument qui m’a beaucoup parlé parce que c’est très proche de la voix, je trouve.
J’ai commencé la guitare et le violoncelle en 2018 parce que j’avais rencontré en Australie un musicien instrumentiste qui s’appelle James MORRISON et j’avais acheté son livre dans lequel il expliquait comment il a commencé à jouer de la contrebasse : il avait été hypnotisé par un contrebassiste qu’il avait vu en concert. Il avait observé son jeu et ses mains et une fois rentré chez lui, il a dormi et rêvé qu’il jouait de la contrebasse. Quand il s’est réveillé, il avait des callosités sur les doigts et il s’est dit : “Si mon corps pense que je joue, peut-être que je sais jouer.” Il est allé voir un de ses amis qui avait une contrebasse et il a joué. Il explique que quand tu rêves ou imagines une action, ce sont les mêmes zones du cerveau qui fonctionnent que quand tu fais l’action elle-même. Il expliquait qu’il joue tellement d’instruments qu’il n’a pas la capacité de tout travailler. Donc il travaille en dormant ! C’est pour cela qu’on conseille de réviser avant d’aller se coucher ! Si tu travailles ton instrument en dormant ou dans ta tête, tu crées les connections nécessaires. Je me suis dit que s’il pouvait le faire, je pouvais aussi et donc j’ai testé : j’apprends très vite en fait. J’ai toujours aimé apprendre et je l’ai constaté quand j’ai fait du violoncelle. J’ai appris seule la guitare mais j’ai voulu prendre des cours avec un violoncelliste classique parce que je voulais être sûre d’être juste – la justesse est hyper importante pour moi. Quand il me donnait des explications, je sentais cerveau absorber. Mon prof m’avait dit que j’apprenais très vite et que j’étais très à l’aise. J’ai envie d’apprendre. J’absorbe quoi…
Je fais ma routine vocale et mes vocalises en parlant !
K. G. : As-tu une routine vocale ?
T. E. : Je dis souvent que je fais ma routine vocale et mes vocalises en parlant ! Parce je suis aussi précise quand je parle que quand je chante. Pour moi, parler et chanter c’est la même chose. Quand tu parles, ce sont des mélodies sauf qu’il n’y a pas les accords derrière. Ce n’est pas pensé tout ça. Souvent il y a des gens qui sont justes, nets et sans manque de souffle et qui oublient de respirer lorsqu’ils commencent à chanter ; quelque chose se passe dans leurs têtes au lieu que ce soit dans leurs corps ; je leur dis de refaire la chanson en parlant, de ne pas se concentrer sur la mélodie et ça débloque des trucs. Je fais mes vocalises presque tous les jours si je sais que je pars en tournée et que je vais jouer plusieurs jours d’affilée parce que cela me permet, comme pour un marathon, d’avoir plus d’endurance ! Quand je sais que je vais utiliser ma voix longtemps, je me prépare en faisant mes vocalises pour tenir. J’ai aussi remarqué qu’après une période où je n’ai pas chanté ou parlé, ma voix est plus claire et plus limpide. C’est bien aussi de laisser sa voix au repos. Et je suis très à l’écoute de mon corps : au réveil par exemple, tant que je ne sens pas que c’est le bon moment pour parler, je ne vais pas parler. J’attends que ma voix soit réveillée.
K. G. : Quel conseil donnerais-tu à quelqu’un qui débute en jazz ou en biguine ?
T. E. : Trouvez les morceaux qui vous touchent ! C’est important que la chanson me plaise sinon j’ai du mal à retenir les paroles, à chanter, à être vraiment dedans. Donc trouvez les morceaux qui vous plaisent ! C’est de l’interprétation : il faut se sentir en accord avec ce qui est dit et ensuite prendre du plaisir. Si la chanson te plaît et que tu aimes les paroles, tu prendras du plaisir. C’est la clé ! Pourquoi chante t-on mieux sous la douche? Ce n’est pas parce que l’acoustique est ouf : la clé, c’est que tu es sous l’eau chaude, détendu(e) et que tu prends du plaisir ! Quand on est à l’aise, la voix sort bien ! Je leur dirais d’aller prendre des cours et d’aller voir des profs de chant classique pour comprendre que la voix est un instrument.
La technique classique te permet d’avoir plus d’assurance : tu sais comment gérer ton instrument et en étant plus assuré, tu vas être plus détendu. Ce que j’ai retenu de mes cours ce sont des astuces comme cette façon de relever la lèvre qui permet de soulever le palais. J’ai vu un chanteur américain le faire et c’était assez impressionnant. Quand je fais une note aiguë, je soulève les sourcils : ça soulève le palais et ça détourne de cette note aiguë que tu appréhendes tout en donnant l’assurance que la note va sortir. Donner des cours m’a beaucoup aidée : devoir expliquer et faire des master classes me force à me projeter, à voir ce qui bloque chez la personne, à m’adapter et à trouver le “truc” qui va lui parler. C’est très épuisant pour moi car je suis à fond dans tout ce que je fais. C’est aussi très agréable car j’apprends en même temps. Prendre des cours c’est bien, trouver le bon prof, c’est important. C’est comme trouver un psy en fait ! Plus tu chantes, plus tu deviens bon !
K. G. : Comment gères-tu ta carrière de chanteuse entre l’Europe et la Guadeloupe ?
T. E. : Je suis indépendante depuis 2011. C’est à ce moment que j’ai rencontré des gens qui m’ont donné envie d’être totalement indépendante ; j’ai eu besoin de couper avec des personnes toxiques que j’avais rencontrées. Je gère ma carrière : j’ai un agent qui me trouve des dates dans l’hexagone et je gère le reste moi-même, c’est-à-dire la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane ou l’Australie… et tous les pays étrangers. J’organise mes tournées et concerts avec mes parents. Mon père est celui qui trouve les sponsors et ma mère vend les places : c’est un travail d’équipe !
K.G. : Quelle est ta méthode de composition ?
T. E. : Je n’ai pas de technique de composition. Ça ne fait pas si longtemps que je m’exprime en compositions. Mon prochain album sera composé de chansons originales. En fait, c’est d’abord une mélodie et généralement avec elle arrivent quelques mots ; à partir de là, je vais en faire une chanson. Une fois, j’étais avec un ami au téléphone et je lui dis : “Mon petit doudou” et de là s’est créée la chanson : “Mon petit doudou m’a envoyé, Une chanson à écouter, Elle était douce, elle était tendre, Tout ce à quoi je peux m’attendre…” Et après avoir trouvé cette mélodie, je vais chercher les accords à la guitare. Avec la guitare, il m’arrive aussi de tester des accords et de voir quelle mélodie vient.
K.G. : As-tu une chanson-symbole ?
T. E. : C’est Kryé de Patrick SAINT-ELOI ! Pour moi, Patrick c’est une voix d’amour, c’est ce que j’essaie de transmettre quand je chante. Cette chanson m’a touchée et me touche toujours autant. Quand il est mort, j’étais là dans mon salon et j’ai pleuré comme si quelqu’un de ma famille était parti. La chance qu’on a c’est qu’il nous a laissé plein de morceaux.
K.G. : Merci beaucoup Tricia !
Photo de couverture : Mario GILBERT
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Bonjour Karine, merci pour ce voyage « vocal ». C’est avec plaisir que je découvre Tricia. J’ai également télécharger ton livre qui est de bons conseils.
Merci Sophie !
En cas de questionnements ou de besoin de précisions, n’hésite pas à me contacter. Bon chant !