C’est dans un studio de Ferndale Road à Brixton (Londres) qu’il y a quelques années, j’ai pu participer à une jam session inoubliable avec André SPOONER et son groupe. Il fallait que je l’interviewe tôt ou tard : André, excellent bassiste reggae qui vit à Peckam (banlieue sud-est de Londres), accompagne divers chanteurs et chanteuses. Il est également DJ Spoonz pour le Reggae Pulse show de Deal radio (dealradio.co.uk). Qu’est-ce qu’un bon chanteur reggae?
Interview#7
Karine GENE : Bonjour André, peux-tu te présenter brièvement?
André SPOONER : Je suis André, je joue de la guitare basse dans divers groupes reggae y compris mon propre groupe qui s’appelle The Kromatic Band. Je suis originaire de la Jamaïque et je suis venu étudier au Royaume-Uni ; je jouais déjà de la musique en Jamaïque et donc j’ai continué quand je suis arrivé ici où j’ai rencontré un groupe de gars qui aimaient tout comme moi le reggae. Cela fait des années que je joue.
K.G. : Tu joues d’autres styles ou seulement du reggae?
A. S. : Bien sûr, j’aime expérimenter avec différents styles, ça dépend de mon humeur ! Avec le Kromatic Band nous jouons du reggae mais aussi de la funk, du jazz etc. J’ai une prédilection pour le reggae, donc, en général, ce sont plutôt des concerts reggae que nous décrochons mais nous jouons d’autres styles de musique.
Ils [les chanteurs authentiques] sont capables de chanter toutes sortes de riddims (…) ; ils chevauchent le micro, ils improvisent rapidement et savent toujours rebondir (…)
K.G. : En tant que bassiste reggae tu as joué avec divers chanteurs. Comment travailles-tu avec eux et comment définirais-tu ce qu’est un bon chanteur ou chanteuse reggae?
A. S. : Tu le sais quand tu vois un bon chanteur! En tant que musicien lorsqu’il prend le micro et commence à chanter, les musiciens se regardent et se disent “yeah !”. C’est la vibe et la passion qu’il met dans sa musique ! Ce qu’on lui demande c’est de chanter juste ! Si par exemple tu joues dans la gamme de do et qu’il chante en mi bémol, ce n’est pas juste et donc les notes jouées par les instruments n’iront pas avec ce que fait la voix ! Et puis ça dépend du type de chanteur car il y a les chanteurs de reprises et les chanteurs “authentiques ». Les chanteurs authentiques attrapent le micro et sont aussitôt dans la gamme et le rythme quand ils commencent à chanter ; ils sont capables de chanter toutes sortes de riddims ( merengue riddim, jazz riddim etc.) ; ils chevauchent le micro, ils improvisent rapidement et savent toujours rebondir ; c’est le genre de chanteurs avec qui on veut travailler parce que sur scène, si le chanteur n’est pas réactif et qu’il est capricieux, il perdra son fil ; parce que le monde de la musique continue sans cesse d’évoluer : s’ il est rigide, il va craquer. Donc il doit être capable de bouger, d’être flexible et de rester ouvert ; c’est important quand on joue sur scène ! J’aime voir les chanteurs qui ont cette capacité à faire le show et à performer. Beaucoup de chanteurs sont excellents avec une bonne tessiture, une voix juste et puissante, tout… Mais une fois sur scène et exposés au public, ils restent sur un coin de la scène et ne bougent pas. Etre bon, c’est génial mais il en faut plus !
Donc cela dépend du type de chanteur que l’on veut être : un chanteur de studio qui enregistre des tubes ou un vrai musicien qui produit un beau son en studio et qui peut tout aussi bien chanter sur scène et faire le show. Parce que le public vient se divertir ! Donc être capable de performer c’est ce qui fait un très bon chanteur ; être bon sur scène, projeter sa voix, être rapide et bon en improvisation, c’est très important car en live tout va très vite ! Il faut aussi être capable d’accepter la critique et les commentaires et ne pas les prendre de manière personnelle ; mettre son égo de côté et prendre les critiques dans un sens positif pour ne pas être constamment sur la défensive.
K.G. : Où peut-on voir de bons groupes et écouter du reggae en ce moment, à Londres?
A. S. : En ce moment il y a beaucoup de petites scènes reggae partout à Londres. Il y a des formes variées de reggae et d’autres types de musique. On trouve des clubs “indies” [ndlr : indépendant], hip-hop ou reggae là où on ne s’y attendrait pas ; c’est parce que les endroits qui programment les soirées se disent “Tiens là j’ai un créneau pour une soirée reggae ”. Les gens aiment le changement parfois !! Donc à Londres, il y a beaucoup de salles et de clubs qui décollent : Jam in the jar, Hootenanny à Brixton, Troy Bar à Shoreditch, Jazz Cafe à Camden Town ou encore The Ricks à Brixton. Je dois justement aller dans un club à Camden Town pour une soirée reggae de 17h à 22h. C’est le dimanche soir. Apparemment, c’est bien.
K.G. : Nous parlons reggae mais il y a tant de genres : roots reggae, lovers rock, dub, etc. Comment évolue le reggae maintenant? Y a t-il une forme de reggae propre à Londres ? Quels sont les artistes qui sont écoutés maintenant?
A. S. : Au Royaume-Uni, la tendance est d’écouter différents types de reggae. Il y a beaucoup de nouveaux artistes comme Chronixx, Koffee et Jessie ROYALS. Il y a une nouvelle vague d’artistes qui arrive. En Jamaïque, il y a Christopher MARTIN. En plus de cela, il y a évidemment de nouveautés dans des genres comme le dub. Je suis allé dans une soirée dub et je ne connaissais aucun des gars.
K.G. : Comment a évolué le reggae en Jamaïque depuis ton enfance ?
A. S. : En Jamaïque nous avons le reggae, le calypso, la soca… A l’époque c’était très différent, la société était différente et les choses ont évolué. Quand je grandissais – dans les années 80-90 – le dance-hall émergeait. Quand tu écoutes du Old School comme Buju BANTON ou Shabba et même quand on pousse jusqu’à Bennie Man et Bounty Killer, ce n’était pas aussi graphique ou HD [ ndlr : Haute Définition ] comme aujourd’hui. Aujourd’hui, c’est comme si tu étais à l’intérieur de la chanson, c’est très explicite : il n’y a plus d’espace pour imaginer, ils vous donnent tout aujourd’hui ! A l’époque, culturellement, c’était différent. Maintenant ça a complètement changé. Quand je grandissais c’était cette “vibe”, une bonne ”vibe”, du bon reggae. Il n’y avait pas autant de violence. C’était charmant. Maintenant, ils ne parlent que d’argent, de tueries, et de femmes ; c’est tout ce qu’il y a au programme !
K.G. : On a l’impression qu’en Jamaïque la plupart des gens chantent ou jouent d’un instrument…
A.S.: C’est fou que tu dises ça ! Je me le dis aussi car quand on sort de la Jamaïque, on se demande ce qu’il se passe (rires)! Et quand on y est, on ne réalise pas. C’est tellement commun… Tout le monde chante ou joue. On le fait même à l’école. A la pause-récré, avec les potes, on prenait un mini-disc et jouait par exemple Ting-A-ling de Shabba RANKS (il chante) : aussitôt tout le monde commençait à improviser, à sauter et ça continuait comme ça… Oui, c’est une vibe. C’est normal. Tout le monde chante…..
K.G. : As-tu une chanson-symbole ?
A.S. : C’est difficile de répondre à cette question ! Car elle me met en boîte et je ne peux pas être enfermé! (rires) Il n’y a pas qu’une chanson ! J‘en ai plusieurs car ça dépend vraiment de mes émotions et de mon humeur ! Si je suis d’humeur particulière, pour une chanson spécifique je serais ravi mais si l’humeur est différente, je ne voudrais même pas l’entendre ! Du point de vue des instruments, c’est la même chose !
J’ai un acheté un album il y a 20 ans et à ce jour, la musique de cet album continue de me faire vibrer quelle que soit mon humeur. C’est l’album de Ziggy MARLEY and the Melody Makers qui s’appelle “Spirit of music” ; je pense que c’est le dernier album qu’ils ont fait ensemble. J’aimais tout cet album et j’ai essayé d’en apprendre la guitare. La plupart de ses chansons sont riches de cet instrument et je peux te dire que partir de la basse puis apprendre à jouer de la guitare grâce à cet album, musicalement c’est fou! Ils ne jouent pas dans les règles du tout ! La musique est cool mais ils ne jouent pas dans les règles, c’est de la vibe ! J’aime cet album pour en avoir joué les lignes de basse et ensuite les accompagnements à la guitare.
J’apprécie la musique de façon musicale mais aussi spirituelle parce que grâce à elle, je règle mon humeur. Si je l’écoute musicalement, elle me met en joie ; musicalement c’est comme si elle était physique, comme si je pouvais la voir ou en voir des parties. Elle régule mes émotions. J’aime la musique ! Le reggae, mais aussi la musique en général ! C’est une des choses les plus puissantes !
K.G. : Merci beaucoup, André !