J’avais 21 ans en 1996. J’étudiais alors le japonais en licence à l’INALCO et il me fallait, après du temps passé à étudier, me confronter enfin à la réalité du pays et parfaire l’apprentissage de la langue. J’ai vécu 4 mois à Tokyo chez l’habitant. Découvrez comment ce séjour a eu une influence sur le reste de ma vie et m’a amenée à apprendre la musique et à répéter l’expérience d’une vie à l’étranger.
1) Les micro-chocs.
Mon premier choc a été visuel dès l’aéroport de Narita. Une navette futuriste qui vous emmène dans le centre de Tokyo et semble flotter sur les rails. A Tokyo, le choc visuel entre tradition et modernité est omniprésent : des maisons traditionnelles en bois parmi des bâtiments en béton armé, les looks colorés et exubérants des jeunes de Shibuya et les costumes stricts des salarymen (cadres non dirigeants). Les voyageurs au Japon en reviennent émerveillés.
La vie, ce n’est pas seulement respirer c’est aussi avoir le souffle coupé (Alfred Hitchcock)
Photo de Tianshu LIU
J’ai compris très vite au cours de mon séjour que j’étais accro à la découverte de manières de vivre et de pratiques différentes, enivrée par la nouveauté au quotidien à travers ces micro-chocs, comme je les appelle : boire sa soupe bruyamment (signe d’appréciation au Japon), ne pas pénétrer dans une maison avec ses chaussures, appliquer le différents niveaux de salutations ou encore le fait de ne pas mettre trop en avant son avis (privilégier l’intérêt du groupe), la discipline et le sentiment de sécurité ambiant… Autant de pratiques et de comportements à découvrir et à assimiler pour vivre au mieux avec les locaux.
Comprendre le pays.
Après le Japon, je serai constamment à la recherche de ces micro-chocs dans mes voyages. Ils sont, pour moi, la manifestation de l’imaginaire du pays et sont des clés pour sa compréhension. Ils sont la porte d’entrée pour accéder au fondement de us et coutumes. Les accepter et les prendre en compte sans se trahir c’est “vivre le pays”. Cela nécessite d’être flexible, à l’écoute et curieux. L’inconnu ne fait pas peur : il surprend, interroge, émerveille.
2) Se retrouver soi-même.
Celui de l’extérieur : le Gaijin.
La population du Japon était extrêmement homogène. En 1996, si des étrangers se croisaient, inévitablement, ils se saluaient. Si je croisais une autre personne noire, quelque soit son pays d’origine, alors nous avions une discussion et il se pouvait que nous allions boire un verre. Nous avions besoin de partager nos expériences et notre ressenti du pays. Je n’avais jamais vécu cela avant. Nous ne nous connaissions pas, mais le fait d’être étranger provoquait le rapprochement. Je faisais partie de plusieurs groupes : français, africain, américain, antillais… gaijin. J’ai compris ce que être de l’extérieur (gaijin) et être temporairement immigrée signifiaient. J’ai donc éprouvé, par moment, ce besoin d’échanger avec des personnes qui se trouvaient dans le même cas. Ceci a été d’une aide précieuse pour aborder mon métier lorsque je suis devenue formatrice pour des personnes immigrées qui apprennent le français.
La rencontre.
Hachiko Deguchi est un point de rendez-vous célèbre de la gare de Shibuya. Un jour, alors que j’y attends une amie, un vieil homme japonais s’approche de moi et me demande d’où je viens. Paris, Guadeloupe, Martinique, France, j’ai le choix. Difficile de répondre en un mot. Parce que c’est certainement plus facile à situer, je lui réponds tout de même que je vis en France. Aussitôt il me fait remarquer que d’après la couleur de ma peau, je ne peux pas dire que je suis pure. Je ne suis ni strictement française, ni guadeloupéenne, ni martiniquaise. Je ne suis pure de rien.
Venant d’un département cosmopolite (je vivais en Seine-Saint-Denis), le concept de pureté me tombe dessus. Pourquoi me l’avait-il dit? Voulait-il s’assurer que j’en sois bien consciente. Monsieur, je ne suis pure de rien. Je suis pure de tout? J’ai le choix finalement. Nous avons eu, tant bien que mal, une conversation sur mes origines diverses et la pureté et j’ai pu lui expliquer la richesse d’avoir différentes origines et lui, celle d’être “pur”.
Le voyage est le meilleur moyen de se perdre et de se retrouver en même temps. (Brenna SMITH)
Photo de Jezael MELGOZO
Le regard de l’autre.
Le voyage nous place sous le regard de l’autre selon notre origine. Qu’on le veuille ou non, ce à quoi nous ressemblons a une influence sur l’expérience du séjour à l’étranger. Ce moment a été révélateur, mais en aucun cas déstabilisant. C’est au Japon que, pour l’avoir vécu, j’ai pleinement pris conscience de cela. Une autre fois, un homme d’affaire japonais m’a offert une orange dans le Shinkansen (train à grande vitesse), ne m’interrogeant que sur mes origines, étonné de l’association française / peau noire … Cela m’a préparée à d’autres voyages, dans des pays où il est peu fréquent pour la population de voir des personnes de couleur.
3) Retrouver le monde.
Au cours d’une vie à l’étranger, immanquablement, beaucoup d’éléments vous rappellent à la maison. Je pourrais dire que j’ai retrouvé le monde au Japon.
L’étranger nous rappelle à nous.
Hébergée chez Chieko pendant ces quatre mois, sa mère nous préparait régulièrement des plats. Loin des restos japonais stéréotypés du quartier Saint-Michel (soupe miso, sushis, sashimi, maki.), j’ai eu accès pour la première fois à la cuisine japonaise dans toute sa splendeur. J’ai eu la surprise de manger des produits très communément consommés en Guadeloupe et Martinique comme les patates douces ou l’igname. Ces plats m’ont rappelée au goût de la cuisine de la Guadeloupe et la Martinique.
Les visages aussi : il m’est arrivé plusieurs fois de croiser des japonais qui ressemblaient de façon surprenante à des personnes non-japonaises que je connaissais. Tel ami italien en version japonaise. C’est quelque chose que j’ai trouvé troublant et qui devenait presque un jeu. Telle autre qui a les traits de telle personne française. Des versions de personnes que j’avais pu rencontrer ailleurs mais avec des traits japonais. J’ai retrouvé le monde au Japon.
Hiroshima.
La visite du Parc du Mémorial de la Paix a été un moment troublant, d’une grande intensité qui a raisonné, plus tard, au moment du drame de Fukushima. Sur le site, il
est rappelé de ne pas répéter la même erreur : cela nous renvoie à tous les atrocités commises par l’homme quelque soit le continent, le peuple ou le pays. Message de douleurs, message universel d’un pays blessé qui se relève. Il n’y a que l’ Humanité.
Photo de Ferbot2000
Le voyage est un retour vers l’essentiel (Proverbe tibétain)
4) Du Japon à … la musique.
Le monde de l’art m’a offert de formidables contacts et relations. Depuis ce séjour au Japon, en voyage, je recherche toujours un contact avec les milieux artistiques du pays. J’y trouve, en général, une curiosité et une ouverture d’esprit exceptionnelles.
L’artiste est fondamentalement en recherche, ce qui suppose une ouverture sur le monde et les autres. Des artistes japonais m’ont extrêmement bien accueillie. J’ai eu la chance de participer à un concert en tant que choriste grâce à une amie japonaise. Je débutais timidement la musique à l’époque. Ce fut un moment intense de communication : la musique, universelle, permet de partager beaucoup en peu de temps.
La musique exprime ce qui ne peut être dit et sur quoi il est impossible de rester silencieux (Victor HUGO)
Le Japon m’a appris qu’avec la musique, je suis un peu chez moi partout. A partir de là, la musique est devenue une nécessité.
Photo de Lee SOO HYUN
L’impact.
J’ai beaucoup appris et retenu du Japon et jusqu’à aujourd’hui, je rêve d’y retourner et de redécouvrir le pays avec mes enfants.
La musique est un langage universel qui m’est devenu vital. L’art est un superbe connecteur et formidable moyen de communication. Il me semble que celui qui vit dans un pays étranger doit avoir des qualités comparables à celles du musicien :
- le séjour en pays étranger agit comme un révélateur car il exige de se confronter au regard de l’autre sans se perdre. Tout comme la musique permet de s’exprimer en tenant compte de certaines règles (tempo, gammes..). et en écoutant l’autre. Il faut s’adapter. On se connaît alors mieux soi-même. On vit pleinement l’expérience si on sait apprécier et réagir dans le respect de l’autre et de ses convictions face aux micro-chocs : l’inattendu, l’originalité, les subtiles différences, les imprévus. Ce sont les épices du voyage.
- comprendre qu’il n’y a que l’Humanité : il n’y a qu’un Homme qui mange, boit, aime, pense, s’exprime, souffre, assouvit ses besoins ou recherche une forme de reconnaissance. A partir de là, ensemble, nous jouons de la même partition.
Vivre à nouveau à l’étranger.
Le Japon a impacté ma vie en ce sens que je suis rentrée à Paris déterminée à revivre à l’étranger. Deux ans après ce voyage, je suis partie vivre en Angleterre et y suis restée 6 ans. J’ai pris cette décision sans appréhension, certainement grâce à mon expérience au Japon. J’y ai sérieusement appris la musique et plus particulièrement le chant.
Le Japon m’a donné l’audace, l’envie et une forme de sécurité intérieure pour envisager, encore une fois, une vie à l’étranger.
N’hésitez pas à m’envoyer vos commentaires et à me faire part de ce qui a impacté votre désir de chanter ou de jouer d’un instrument.
Cet article participe à l’événement interblogueurs « Comment le fait de vivre dans un autre pays que le sien a-t-il impacté votre vie? » organisé par Machiko et Laurent du Blog : https://apprendrelejaponais-decouvrirlejapon.com
Superbe reportage aller y sa mérite le détour
Merci Christian,
En effet, le Japon réserve beaucoup de surprises! Je conseille de s’y rendre une fois dans sa vie si possible!
Super article , une lecture qui en vaut vraiment la peine
Bonjour Amélie,
Merci d’avoir pris le temps de le lire. Si vous pratiquez ou voulez pratiquer le chant, vous pouvez me faire part de vos réussites ou difficultés.
Super article !
Je trouve que c’est une très belle réflexion. Un voyage en profondeur. Un voyage avec les yeux du cœur !
Merci Tabar!
Très contente que l’article vous plaise !
Joli reportage. Superbe voyage à travers cette lecture. Merci de nous avoir fait partager ce moment !!!!
Contente que l’article vous intéresse!
Merci pour ce commentaire.
Très intéressant. Ça donne envie de voyager au Japon !
Merci beaucoup Mauricette! Je vous invite à faire le tour du blog si vous aimez le chant!
Article très agréable à lire, que je partage avec plaisir.
Merci beaucoup Mélanie!
N’hésitez pas à m’envoyer d’autres commentaires, idées ou suggestions !
Bel article ! Beau résumé de ce qu’est la vie à l’étranger. Pour l’avoir vécu je me rends compte que le ressenti est généralement le même quelque soit le pays d’accueil ( chocs de culture et le besoin de se rapprocher des autres expatriés…). Ce sont des expériences authentiques.
Bonjour Ludmila,
En effet les expériences quant au ressenti sont souvent similaires. Où avez-vous vécu? Quel impact a eu cette expérience sur vous?
Merci Karine de nous faire partager avec cette belle expérience.
Merci Fabien! De nouveaux articles arrivent…😉
Ça magnifique quand la personne qui voyage enrichi la vie de tous ceux qui restent…merci Karine Karine
Il faut que je t’emmène écouter les ethnies peuls, dogons et bamiléké à chanter, je suis sûre que d’avoir pu assister à un concert de Youssou Ndour et super étoile de Dakar ou encore Féla Anlikulapo Kuti comme j’en ai eu la chance en 1984 aurait été vraiment complémentaire à toutes tes aventures et voyages musicaux, bravo de vous faire voyager aussi sur d’autres coins de la Planète
M Christine
Tu pousses la porte du voyage Marie-Christine et me donne envie d’y être!! Je compte bien aborder les chants d’Afrique de l’ouest dans un prochain article. Merci!
Woaw quel super blog. Vraiment sa m’épate C’EST AVEC VOIS QUE JE VEUX TRAVAILLER!
Merci Ilaï ! Bienvenu !😉
[…] du blog Entreprendre et voyager 8 – l’article de Karine – Comment un séjour au Japon a impacté ma vie […]