Le créole guadeloupéen plus que du chant
Chanter en langues étrangères, Développement personnel

Comment j’ai transmis le créole guadeloupéen à mes enfants.

Cet article participe à l’événement “L’importance de transmettre sa langue natale à ses enfants” du blog. https://apprendre-le-lingala.com. J’apprécie beaucoup ce blog, et en fait, mon article préféré est https://apprendre-le-lingala.com/defi-9-12-proverbes-ou-citations-en-lingala/.

On est fait aussi de sa langue natale, de ses intonations, ses expressions idiomatiques, ses accents et sa musique. Inconcevable que je ne parle pas le créole guadeloupéen, et que je ne le transmette pas à mes enfants.

1) Retour au pays.

Un apprentissage tardif.

Après avoir vécu 20 ans en France hexagonale et à l’étranger, je retourne en Guadeloupe et parle en créole avec un accent français à couper au couteau. J’ai dû réapprendre : les bases grammaticales étaient là, mais en plus de l’accent, il manquait les proverbes et les expressions idiomatiques, celles qui font le sel de la langue comme “Zorèy pa ni kouvèti” ( » Les oreilles n’ont pas de couvercle ” =  » Il faut surveiller notre langue « ). Il manquait aussi la musique de la langue, celle qui fait qu’en vous entendant on perçoit le pays et sa culture.

La vérité, c’est que je ne l’avais pas vraiment parlé pendant toutes ces années : je l’entendais, mais m’exprimais en français. Ce fut le cas de nombreux enfants de créolophones.

Histoire d’une langue “mal vue”.

Pour le comprendre, il faut avoir en tête que le créole contrastait avec le français, qui, au sortir de l’esclavage, était la langue de l’école, la porte de sortie vers une vie meilleure. Le créole, exclu de l’administration, de l’école et de la justice était associé à la servitude, à la vie dure. Heureusement, cela a bien changé aujourd’hui.

Il fallait que l’histoire soit différente pour mes enfants.

2) Des discussions et des chansons.

Les interrogations de mon fils.

Un jour, mon fils me parle en créole, utilise le mot “mako” et aussitôt me fait la remarque : “ Toi aussi tu penses que c’est mal vu que je te parle en créole ?” Je me suis figée. Non, puisque je le parle… Mais il a tellement raison. Mon regard m’a trahie, comme si je l’avais pris en faute. Le créole est cru, fort et les intonations chargées. Par exemple on dit “mako” pour « curieux« . Or “mako” est plus proche de “macrelle« . Et il n’y a pas d’autres moyens de dire “curieux » que d’utiliser “mako”… Donc d’enfant à parent on frôle l’inacceptable !  Et là, interloquée, il me renvoie à ce qui s’est passé pour des générations d’enfants qui entendaient le créole de leurs parents, le comprenaient mais ne s’adressaient pas à eux dans cette langue. Beaucoup de ma génération qui vous le diront.

Je veux que mes enfants le parlent. Je dois donc leur expliquer et sortir de cet apprentissage passif de la langue et leur montrer qu’on peut tout à fait l’employer pour s’adresser à un parent.

Le pouvoir des chansons.

J’ai beaucoup chanté pour les endormir : les textes poétiques de Patrick St Eloi, des mazurkas de la Martinique, et des ballades zouk de Kassav en version berceuse pour paver leur sommeil de doux rêves. Donc dès le départ, le créole était là, pour leur raconter, l’amour, la joie, la tristesse ou des histoires de vie. Je leur ai aussi expliqué l’histoire du créole, les conditions dans lesquelles je l’ai appris puis réappris.

( Découvrez ici d’autres bienfaits du chant : Le chant et ses bienfaits ).

Et puis ils ont vécu toute leur vie ici, l’ont parlé et chanté à l’école… Je n’ai pas eu vraiment à leur apprendre mais j’ai eu en tête qu’ il fallait que la langue soit vivante dans la maison et qu’il ne fallait pas que se reproduise ce qu’il s’était passé pour beaucoup de ma génération : l’entendre mais sans le parler. En effet, on peut très bien vivre dans un pays bilingue, ne parler que la langue institutionnelle et mettre de côté la langue vernaculaire, en la considérant comme moins propice à la réussite scolaire. Ce n’était pas la faute des parents : l’idée était de donner toutes les chances à leurs enfants, car l’instruction se faisait en français.

Eye for Ebony - Unsplash
Photo Eye for Ebony – Unsplash

3) Les bienfaits de l’apprentissage d’une deuxième langue.

Avoir une double culture rend plus tolérant aux autres cultures donc permet d’être plus à l’écoute des autres à condition de ne pas vivre cette double appartenance comme un déchirement. 

Hector POULLET – Loupe Magazine – Loupe-magazine.fr

Il est important d’assurer donc les conditions d’apprentissage de nos enfants pour éviter que la langue natale soit considérée comme basse : moins importante, mineure, inutile ou menaçante pour leur réussite. Se rappeler que se réapproprier sa langue, c’est se réapproprier sa culture. L’enseignement / apprentissage du créole est donc indissociable de l’histoire de la Guadeloupe.

Et puis quelle chance que le bilinguisme ! Il est plus facile d’y ajouter une troisième ou quatrième langue ! Pour transmettre sa langue natale à ses enfants, le parent doit être convaincu que l’apprentissage de cette langue ne peut être nuisible, bien au contraire !

En parallèle à ces situations intra-familiales, les textes et circulaires ont évolué : le créole n’a été introduit à l’école qu’en 1982 et n’a été reconnu comme langue régionale qu’en 2000 ( Circulaire Savary ) !

Aujourd’hui mes fils le parlent. Mon fils cadet l’étudie dans le cadre du Programme d’enseignement des langues et cultures régionales. Les jeunes le revendiquent : parler et écrire le créole est un acte de liberté, de résistance et bien sûr identitaire !

Le rapport d’un individu à sa langue maternelle (ou paternelle !) peut être compliqué mais la situation n’est jamais irréversible. Car après tout, comme nous l’avons vu,  dans toute son histoire, le créole, en soi, n’a jamais été LE problème.

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9 commentaires

  1. Je viens de découvrir cet article! Bel exemple de réappropriation de sa langue et de sa culture! Merci!

    1. Merci Fred!

  2. Bravo et merci pour ce bel article. Les langues véhiculent la diversité, la culture et l’enrichissement de tous! Leur défense est d’autant plus importante à l’heure actuelle où tout doit se fondre dans la masse, être uniformisé et politiquement correct !

    1. Oui, tout à fait. Chantons nos langues !

  3. Merci pour cet article,
    je me reconnais en tant qu’enfant qui entendait le créole, mais à qui on parlait en français !
    Mon père est réunionnais, donc effectivement il y a une frustration de ne pas parler comme les grands, et puis si un jour tu vas au « pays » de tes parents, tu sens que la langue peut être un frein, il y a toujours des personnes bienveillantes qui cherchent à t’apprendre, à t’inclure dans la « communauté », mais il y a ceux qui se sentent un peu supérieur à toi.
    Par-contre, je pense qu’entendre parler en créole lorsque j’étais petite, ça a développer mon oreille, je comprends facilement lorsque l’on me parle en étranger ou dans un français très rudimentaire accompagné d’un accent.

    1. Merci pour ce témoignage Marie. Il n’est jamais trop tard pour se réapproprier une langue perdue ou oubliée. Chanter dans cette langue devient alors un outil puissant.

  4. Je suis tout à fait d’accord avec ton point de vue. Je ne suis peut-être pas très objectif car j’ai habité un certains temps aux Antilles et j’adore le créole! Beau témoignage 🙂

    1. Merci Romain,

  5. […] Comment j’ai transmis le créole guadeloupéen à mes enfants ? […]

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